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Publié le 05 juin 2022
Temps de lecture : 4 min
Interviews
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Publié le 05 juin 2022
Temps de lecture : 4 min
Géographe, professeur à l’ENS de Lyon et directeur de l’école urbaine de Lyon, Michel Lussault dresse le portrait du modèle périurbain à la française : ses failles, mais aussi ses atouts dans le contexte de lutte contre l’artificialisation des sols. Interview.
La loi « Climat & Résilience » a mis la question de l’artificialisation des sols sur le devant de la scène. Est-ce une préoccupation récente ?
Michel Lussault : Les travaux d’un certain nombre de chercheurs – aménageurs, géographes, urbanistes – montrent que cela fait maintenant plusieurs décennies que l’on s’inquiète des conséquences de l’artificialisation des sols. C’est une préoccupation contemporaine très liée au développement de la périurbanisation de la France entamée dès les années 1950. Elle est née de l’excessive consommation de terrains, du développement du modèle pavillonnaire et de ses nombreux impacts : sur les infrastructures routières, commerciales, sur les écosystèmes, sur les écoulements d’eau, etc.
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En matière de lutte contre l’artificialisation des sols, qu’est-ce qui a changé au cours des dernières années ?
Michel Lussault : Depuis quelques temps, la pression s’accentue. La loi « Climat et résilience » et ses mesures contraignantes sont symptomatiques d’un changement profond. C’est sans doute lié au fait que depuis une dizaine d’années, l’une des préoccupations majeures de notre société devient le changement global : changement climatique, appauvrissement des écosystèmes, épuisement des ressources… L’artificialisation des sols avec tout le cortège de conséquences environnementales qui l’accompagne pousse les pouvoirs publics à être plus affirmatifs dans la nécessité de contrôler l’expansion urbaine. Mais ce n’est pas tout. Depuis une quinzaine d’années, on note également une critique croissante de l’agro-industrie, qui artificialise les sols autant, voire plus que l’urbanisation, bien que d’une autre façon. La pandémie a été un moment où toutes ces prises de conscience se sont rejointes et cette question de l’artificialisation, qui semblait jusqu’à présent abordée de manière confidentielle par des spécialistes, est devenue une question centrale.
Depuis plusieurs dizaines d’années, l’artificialisation augmente à un rythme plus important que la démographie : comment expliquer ce phénomène ?
Michel Lussault : La périurbanisation « à la française » et son modèle pavillonnaire est très « spatiophage » alors qu’il y a des développements urbains en Europe qui sont beaucoup moins consommateurs d’espace : en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas ou dans les pays scandinaves par exemple. Le pavillon comme résidence idéale consomme beaucoup d’espace, mais il faut considérer les choses au-delà des limites de la parcelle individuelle : l’ensemble du modèle périurbain, avec les infrastructures routières pour accéder à sa résidence, les équipements d’activité, les zones commerciales, consomment beaucoup d’espaces. C’est ce qui explique que l’artificialisation des sols par la périurbanisation va plus vite que la croissance démographique.
Au-delà de la question des puits de carbone et de la biodiversité, quels problèmes pose l’expansion urbaine ?
Michel Lussault : Au-delà de l’aspect purement comptable du « zéro artificialisation nette », il y a tout l’aspect qualitatif, qui est bien plus complexe. Insistons sur le fait qu’aujourd’hui, les espaces périurbains sont très convoités pour une raison principale : l’accès à sa propre maison et à son jardin privatif. Ces espaces sont donc à la fois très attractifs, mais aussi très dépendants de tout ce qui permet d’y résider et d’y vivre. On y est très heureux, mais pour pouvoir être chez soi il faut du temps, et il faut se mettre dans une situation de dépendance extrême à l’automobile et au prix en augmentation du carburant.
La question de l’accessibilité est donc centrale ?
Michel Lussault : Oui, mais on est aussi dans une situation où les espaces périurbains sont très convoités mais marqués par une « infra urbanité », c’est-à-dire une insertion dans un dispositif urbain où beaucoup de choses manquent : les équipements, les commerces, les services… Le périurbain devient l’espace qui est caractérisé par l’espace résidentiel disponible, mais aussi le repli sur la citadelle domestique. Les territoires périurbains sont souvent très fragiles : économiquement – car coûteux – fonctionnellement, et environnementalement puisqu’ils contribuent de façon non négligeable à la dégradation des conditions environnementales. Au cours des cinquante prochaines années, nous devrons gérer cet espace périurbain tout à la fois convoité et vulnérable.
« Il y a un énorme travail à faire pour créer une vie périurbaine de proximité »
Quel avenir pour le périurbain : face à des centres-villes déjà très denses, est-ce là que réside une partie de la solution ?
Michel Lussault : La densification du périurbain est l’une des solutions. On voit bien qu’il faudrait réfléchir à la façon dont on peut le rendre plus robuste face aux contraintes de mobilité. Saura-t-on rendre ces espaces plus mixtes, et moins dépendants de la voiture ? Il faut réfléchir à des systèmes « mobilitaires » différents. Il faut faire preuve d’inventivité, de dialogue entre pouvoirs publics, entreprises privées et résidents, pour trouver des solutions sans quoi les habitants des zones périurbaines vont se retrouver surexposés à la hausse du prix des carburants. Il faut sans doute redistribuer les géographies des activités de production, remettre des services publics, des services à la personne, etc. Il y a un énorme travail à faire pour créer une vie périurbaine de proximité.
Que préconisez-vous ?
Michel Lussault : Il faut engager une réflexion de fond avec les résidents, inventer une densité périurbaine qui ne soit pas l’équivalent de la densité des espaces centraux. Cela ne veut pas dire construire des tours et des immeubles au milieu des pavillons, ça n’aurait pas de sens ! Mais il nous faut trouver des formes de densification différentes, et des formes de mixité adaptées avec des résidences, des services, des commerces qui pourraient recomposer une trame périurbaine moins fragile, plus robuste, et permettre en même temps de ne plus artificialiser autant de sols. Il faut également travailler à la façon dont on peut restaurer écologiquement un périurbain dans lequel il y a des potentiels : il est ouvert et comporte des jardins – parfois trop jardinés, fermés par des haies, trop traités avec des intrants chimiques. Il faut reconstituer des corridors écologiques, des pôles de biodiversité. Si l’on arrive à régler le problème de la dépendance à la voiture, à remettre de l’activité, à créer de la proximité, à re-densifier de façon intelligente et à exploiter le potentiel écologique des espaces périurbains, alors on pourra donner au périurbain plus d’urbanité qu’il n’en a aujourd’hui. C’est un chantier collectif !