Publié le 26 oct 2022
Temps de lecture : 4 min
Interviews
Publié le 26 oct 2022
Temps de lecture : 4 min
La restructuration et l’extension du musée d’art moderne de Lille, le renouveau des Galeries Lafayette à Annecy, la transformation de la Gaîté Lyrique à Paris… La célèbre architecte Manuelle Gautrand fait du recyclage urbain depuis plus de vingt ans. Elle partage sa vision et ses retours d’expérience en la matière.
Quelle est la différence d’approche pour un architecte entre un projet de construction neuve et un projet de recyclage urbain ?
Manuelle Gautrand : Il n’y en a pas vraiment. Dans les deux cas, la notion de contexte est primordiale. Outre l’environnement dans lequel le projet s’insère, l’architecte doit tenir compte de l’histoire du lieu, de sa topographie, de ses avoisinants, du climat… Nous devons étudier, intégrer et réexprimer ces éléments pour respecter l’ADN de chaque site : nous ne travaillons donc jamais ex nihilo.
Quelles sont les compétences nécessaires pour faire preuve de créativité et d’audace avec l’existant ?
Manuelle Gautrand : Je distingue deux familles de compétences. La première concerne le champ technique. Un architecte doit adopter une approche scientifique et avoir de solides connaissances des aspects normatifs et réglementaires pour intervenir sur le patrimoine existant. La deuxième famille touche à l’empathie. Travailler aux côtés ou sur une œuvre réalisée par un confrère demande de la délicatesse et du respect tout en étant créatif. C’est un exercice d’humilité.
Quel est le projet de recyclage urbain qui vous a le plus passionnée ?
Manuelle Gautrand : J’ai la chance de travailler sur des projets très différents les uns des autres. En 2002, nous avons remporté le concours pour la restructuration et l’extension du musée d’art moderne de Lille, le LaM. Cela a été en quelque sorte mon baptême. Par la suite, nous avons transformé en profondeur l’îlot de la Gaîté Lyrique pour la ville de Paris, le cinéma Gaumont-Pathé Alesia dans le 14e arrondissement de la capitale en minimisant la déconstruction, les Galeries Lafayette d’Annecy en rénovant l’espace existant et en ajoutant une extension Et nous avons récemment été désigné lauréat de Réinventer Paris 3 pour la reconversion de l’ancien garage Citroën dans le 11e arrondissement en logements et en école. Chacun de ces projets présentait des enjeux différents, ils sont donc incomparables.
J’ai également travaillé sur des opérations de recyclage urbain à l’étranger. Nous venons de livrer une grande bibliothèque et l’extension d’une mairie à Parramatta (dans le Grand Sydney) en Australie : la mairie existante est un bâtiment à l’architecture victorienne très important pour les habitants de la ville. Nous avons obtenu le label sept étoiles en matière de performance environnementale, un niveau d’excellence maximal, pour ce projet grâce, entre autres, à notre capacité à prendre en compte l’existant. Nous menons également la restructuration d’un îlot à l’architecture brutaliste au cœur de Stockholm en Suède avec une surélévation qui permettra de déployer un nouvel espace public en hauteur.
Quelles sont les différences d’approche entre la France et les autres pays en matière de recyclage urbain ?
Manuelle Gautrand : En France, et plus généralement en Europe, nous possédons un patrimoine exceptionnel dans nos centres-villes qui nous a amené à nous intéresser à son recyclage et à son renouveau depuis des siècles, tandis que des pays comme l’Australie ont un bâti plus récent : ils sont moins habitués à ce type de projets.
Quels sont les principaux écueils dans une opération de recyclage urbain et quelles astuces avez-vous déployé pour les surmonter ?
Manuelle Gautrand : Le tissu réglementaire français a été créé et développé pour le neuf. Il est en effet plus facile de normer des nouvelles constructions. Les règlementations sont donc peu adaptées à des projets de renouveau, où la présence d’un bâti existant modifie la donne. Par ailleurs, il y a souvent des aléas dans les restructurations, et il est plus difficile pour les porteurs de projets d’anticiper et d’estimer la création de valeur sur ce type d’ouvrage. Nous devons donc être agiles, compétence que nous avons développé au fil des années, pour accompagner et conseiller les maîtres d’ouvrage, notamment en anticipant et en quantifiant les aléas.
En quoi ces opérations, s’appuyant sur la dimension patrimoniale de l’existant, permettent-elles de soigner l’esthétique de nos villes ?
Manuelle Gautrand : La ville est un être vivant. Retravailler son esthétique est donc une manifestation de l’attention que nous lui portons et une preuve de notre volonté d’entretenir sa vitalité. La ville doit évoluer en phase avec nos propres besoins pour continuer à nous développer… tout en respectant l’histoire des lieux. Prenons l’exemple des nouvelles normes thermiques qui incitent à l’isolation par l’extérieur. Il est important d’avoir des objectifs environnementaux chevillés au corps mais il existe plusieurs moyens de les atteindre. Dans le cas des bâtiments classés, l’isolation par l’extérieur des bâtiments n’est pas possible. La créativité de l’architecte permet alors de trouver des solutions pour offrir le confort thermique attendu tout en respectant le bâti originel.
Avec l’instauration du zéro artificialisation nette en France, comment va évoluer l’activité de votre agence dans les années à venir ?
Manuelle Gautrand : Depuis environ 5 ans, je réalise plus de restructurations que d’opérations neuves. C’est une grande fierté. Avec l’instauration du zéro artificialisation nette, le poids du recyclage urbain va encore progresser, ce qui est une bonne nouvelle.
Dans quelle mesure le développement du recyclage urbain va-t-il transformer le métier d’architecte d’ici 5-10 ans ?
Manuelle Gautrand : Nous travaillons sur des sujets de restructuration depuis plus de vingt ans au sein de notre agence. Nous avons acquis des compétences tout au long de cette période. Et l’homme fait vivre son patrimoine depuis plusieurs siècles. Le zéro artificialisation nette ne révolutionnera donc pas notre profession, mais il accélèrera profondément la prise de conscience sur la nécessité de toujours privilégier le recyclage urbain à toute construction neuve sur des sols naturels.