Hôtellerie : les codes ont changé

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L'hôtel Léonor à Strasbourg (©Nicolas Mathéus)

Temps de lecture : 6 min

Mixité des usages, écoresponsabilité, intégration urbaine… L’hôtellerie a profondément évolué ces dernières années pour répondre aux nouvelles attentes des usagers mais aussi des élus, des riverains, des investisseurs, des financeurs… Bertrand Pullès, directeur général adjoint d’Extendam (groupe de capital investissement dédié à l’hôtellerie), et Jean-Luc Guermonprez, directeur général adjoint hôtellerie et international de VINCI Immobilier, décryptent ces transformations.

Comment les attentes des usagers des hôtels ont-elles évolué ces dernières années ? 

Bertrand Pullès : Il y a quelques années, les jours forts dans les hôtels étaient le mardi, le mercredi et le jeudi. Désormais, nous observons une montée en puissance du vendredi car les clients privilégient de plus en plus les établissements conciliant le professionnel et les loisirs. Même s’il est difficile de faire des généralités, les hôtels doivent devenir de véritables lieux de vie intégrés dans leurs quartiers. Les lobbys des hôtels doivent ainsi être plus vivants avec de la restauration, des espaces de coworking, des services comme un fleuriste ou un réparateur de vélos… pour contribuer à leur territoire. Pour chaque projet, nous étudions la ville, sa spécificité, les services existants, pour mettre en place la meilleure offre. C’est du sur-mesure.

Jean-Luc Guermonprez : C’est vrai, il y a moins de standardisation et beaucoup plus de sur-mesure dans les projets que nous développons. En intervenant sur la partie immobilière, nous constatons à quel point les attentes de nos contacts et partenaires dans l’hôtellerie, c’est-à-dire les propriétaires et les exploitants ont évolué depuis une dizaine d’années. La qualité du produit est devenue primordiale pour eux au niveau architectural, au niveau de la décoration intérieure…. Autre évolution notable : les zones d’échanges comme les lobbys par exemple ont gagné en taille tandis que les surfaces des chambres ont tendance à se réduire. Il y a 20 ans, le chambre d’un hôtel 4 étoiles faisait en moyenne 25 mètres carrés. Aujourd’hui, elle est plutôt comprise entre 18 et 20 mètres carrés.


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Quels ont été les facteurs de transformation et quels sont les nouveaux concepts qui y répondent ? 

Jean-Luc Guermonprez : La crise sanitaire a été un facteur de changement très marquant car les hôtels ont été obligés de fermer pendant cette période. Quand la situation est redevenue normale, nous avons constaté une volonté de diversifier les usages. Les nouveaux hôtels permettent de dormir mais aussi de se restaurer, de travailler, d’échanger… Des concepts hybrides ont même émergé avec des établissements qui s’ouvrent aux moyens séjours, qui deviennent des espaces de coworking… Certains hôteliers ont également modifié leur approche des rooftops. Avec Tribe, nous avons même été jusqu’à sacrifier un étage de chambres pour aménager une piscine et une zone de réception au niveau du toit dans le programme Métamorphose à Suresnes car c’est ce que les clients de l’enseigne attendent. Les exploitants ne recherchent plus de gros porteurs situés dans un emplacement mono-usage mais au contraire des opérations à taille humaine, diversifiées, en dehors des grandes métropoles… Nous développons ainsi un hôtel Okko en face de la gare de Troyes avec Extendam et la Banque des Territoires ou encore un You Hôtel dans le projet « Les 3 Mondes » à Amiens.

Bertrand Pullès : La crise sanitaire a accéléré le développement du télétravail et l’usage de la visioconférence. Mais le besoin de lien social est toujours présent, sur le plan professionnel comme dans la vie privée. Les hôtels évoluent en conséquence en mixant les usages, notamment en développant les activités du secteur de l’alimentation et de la boisson, aussi désigné sous le terme de Food and Beverage, mais pas que ! Concernant les concepts, les enseignes lifestyle ont le vent en poupe au sein des grands groupes comme Voco Hôtels chez IHG, Moxy Hotels chez Marriott, Tribe chez Accor… En parallèle, des nouvelles marques se créent pour proposer des expériences exclusives, inédites, à l’image de RockyPop à Chamonix par exemple qui est un réel un lieu de vie pour les parents et les enfants à un prix compétitif.

« Le coût de l’inaction est devenu supérieur à celui de l’action en matière d’écoresponsabilité »

Bertrand Pullès


Le développement durable est devenu un sujet incontournable dans l’hôtellerie. Comment la travaillez-vous dans vos projets ? 

Bertrand Pullès : Avant la crise sanitaire, une grande partie des hôteliers trouvaient l’écoresponsabilité contraignante. Aujourd’hui, tous ont conscience que ce sujet doit absolument être adressé pour répondre aux attentes des clients comme aux enjeux sociétaux auxquels nous faisons face. Les investisseurs et des financeurs sont également désormais plus qu’attentifs aux enjeux ESG (Environnement, Social et Gouvernance) pour la structuration de leurs fonds et au sein de leurs montages financiers. Conséquence : le coût de l’inaction est devenu supérieur à celui de l’action. L’écoresponsabilité passe également par la prise en compte du bien-être des équipes d’exploitation pour réduire le turn-over des équipes. C’est comme au théâtre : vous pouvez avoir la plus belle scène, la pièce ne fonctionne pas s’il n’y a pas d’alchimie dans la troupe. Forts de ce constat, nous nous associons souvent à des partenaires locaux qui ont un concept fort et qui vont embaucher des employés vivant sur le territoire. À noter que de plus en plus d’investisseurs cherchent désormais à être propriétaires des murs mais aussi des fonds de commerce des hôtels pour augmenter la rentabilité de leurs investissements, une grande partie du chiffre d’affaires d’un établissement dépendant de son exploitation. Ils ne faisaient pas avant car ils redoutaient la gestion du volet social. Ce n’est plus le cas.

Jean-Luc Guermonprez : Nous travaillons l’écoresponsabilité depuis plusieurs années. Il y a quinze ans, nous avons développé, avec Accor, le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) et l’ADEME (Agence de la Transition écologique), le Novotel Paris gare Montparnasse, premier hôtel labellisé HQE en France : VINCI Immobilier était déjà précurseur sur le développement durable. Et il y a trois ans, nous avons produit un guide de recommandations environnementales spécifique aux établissements hôteliers. Ce document s’adresse aux investisseurs, aux exploitants, aux architectes, aux bureaux d’études…


Les frontières entre la ville et l’hôtellerie se sont estompées ces dernières années. Comment avez-vous pris en compte ce phénomène dans vos projets ? 

Jean-Luc Guermonprez : Nous nous appuyons sur notre expertise hôtelière et notre connaissance des territoires pour être force de propositions auprès des collectivités locales, notamment en termes de nouveaux usages. Ces derniers amènent de l’activité dans les communes, de la vie dans les quartiers, voire contribuent à la revitalisation de certaines zones.  Et les boutiques hôtels réalisent plus de la moitié de leurs chiffres d’affaires grâce à leurs espaces de réception, à l’offre de restauration, l’aménagement des rooftops…

Bertrand Pullès : Le quartier ne s’adapte pas à l’hôtel, c’est à l’établissement de s’adapter à sa zone de chalandise. Il doit donner envie aux habitants de franchir la porte et apporter une vitalité, une attractivité supplémentaire à son environnement. À Saint-Etienne, nous avons par exemple travailler avec VINCI Immobilier pour développer un ensemble composé d’un ibis Budget et d’un Novotel dans le quartier de Châteaucreux en 2017. Pour apporter cette fameuse valeur ajoutée au niveau d’une des entrées de la ville avec la gare SNCF située à proximité, nous avons réalisé des aménagements qui répondaient à la demande : un espace food and beverage, un terrain de football sur la terrasse, des espaces séminaires… Nous venons de revendre ces deux établissements à Hera Invest.

« VINCI Immobilier réalise plus de la moitié de ses opérations hôtelières en transformant des friches industrielles ou en réhabilitant des immeubles »

Jean-Luc Guermonprez

Quels sont les enjeux de valorisation du patrimoine ?

Bertrand Pullès :  Avant d’acquérir un bâtiment, nous réalisons systématiquement un audit pour évaluer l’investissement initial nécessaire et les futures dépenses d’entretien. Et tous les ans, nous mettons à jour cet audit sur la partie RSE. Cette démarche nous permet de savoir précisément les sommes à budgéter pour que l’actif soit en bon état, qu’il présente de bonnes performances énergétiques et ait une valeur optimisée lorsque nous le remettrons sur le marché.  

Jean-Luc Guermonprez : Tous les investisseurs recherchent le meilleur équilibre entre vie urbaine et valorisation quand ils étudient un projet immobilier. Il y a quelques années, l’hôtellerie apparaissait rarement comme la meilleure solution. La donne a changé, à la fois d’un point de vue structurel avec une attractivité de plus en plus forte de l’hôtellerie, et d’un point de vue conjoncturel avec l’évolution du contexte économique, notamment la crise du marché des bureaux. En 2024, le volume d’investissement dans l’immobilier hôtelier en France sera supérieur à celui de 2023. C’est la seule classe d’actifs qui est en croissance.


A l’heure où le recyclage urbain monte en puissance, comment cette tendance va-t-elle impacter les projets hôteliers dans les années à venir ? 

Jean-Luc Guermonprez : VINCI Immobilier s’est engagé à atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) dès 2030 en réalisant plus de 50 % de son activité en recyclage urbain à cette date. Dans l’hôtellerie, nous réalisons plus de la moitié de nos opérations en transformant des friches industrielles ou en réhabilitant des immeubles depuis plusieurs années. C’est ce que nous faisons par exemple dans le cadre de la transformation des anciens bureaux de l’aéroport de Lyon en hôtel 3 étoiles. Forts de cette expertise en recyclage urbain, nous proposons aujourd’hui à nos partenaires des audits sur leurs actifs obsolètes pour les aider dans leurs projets de requalification.

Bertrand Pullès :  Le recyclage urbain va dans le sens de l’histoire. 80 % des actifs dans lesquels nous investissons sont des actifs existants que nous transformons, comme le Novotel Rouen Sud par exemple. Outre le renouvellement de son offre, nous avons entrepris des travaux afin de mettre aux normes l’isolation des bâtiments, avec des matériaux plus respectueux pour l’environnement. Et cette logique circulaire ne concerne pas uniquement la partie bâtie. Dans chaque projet où cela est possible, nous veillons à ce que nos partenaires exploitants soient accompagnés sur le réemploi du mobilier, les lits en particulier.

L’hôtel Okko en face de la gare de Troyes (©ASK Conception)

L’hôtel Okko en face de la gare de Troyes (©ASK Conception)

La partie hôtelière de la réhabilitation de l’îlot Saint-Germain à Paris (©Atelier Cos)

Le Kimpton St Honoré Paris (©Laurent Desmoulins)

Le Kimpton St Honoré Paris (©Laurent Desmoulins)

L’hôtel Léonor à Strasbourg (©Patrick Bogner)

L’hôtel Léonor à Strasbourg (©Patrick Bogner)

L’hôtel Okko à Nanterre (©Tiltandshoot)

Le Novotel Paris Belleville (©Abacapress Pascal Dieu)

Le Novotel Paris Belleville (©Abacapress Pascal Dieu)

L’hôtel Pullman dans le cadre de l’opération To-Lyon (©Y Studio)

L’hôtel Pullman dans le cadre de l’opération To-Lyon (©Y Studio)