Publié le 16 juil 2024
Temps de lecture : 5 min
Une friche, une histoire
Publié le 16 juil 2024
Temps de lecture : 5 min
À Nanterre, à deux pas du RER A et de l’A14, une friche de 4 hectares, vestige de l’aménagement de la ZAC Seine-Arche, est occupée depuis 2008 par l’association « la Ferme du bonheur ». Espace rural unique en cœur de ville, cette friche appelé “le Champ de la Garde” est un cas d’école, entre casse-tête administratif et engagement citoyen, auquel l’architecte et urbaniste Patrick Bouchain a décidé de se frotter pour la préserver.
Les informations clés
Dans la perspective de l’Arche de La Défense, une friche au cœur de Nanterre détonne avec le paysage environnant. Au-dessus de l’A14, à côté des voies ferrées du RER A, à proximité des bâtiments de la Garde Républicaine, se trouvent 4 hectares d’espace délaissé lors de l’aménagement de la ZAC Seine-Arche qui relie la Grand Arche de la Défense aux berges de la Seine.
Appelé « les Terrasses 3-5 », du nom du concept urbain imaginé par les urbanistes Treuttel-Garcia-Treutell lors de la création de la ZAC, le site est un maillon manquant entre les espaces déjà urbanisés et la Seine. La friche a longtemps servi de poubelle à ciel ouvert, recueillant les déchets de l’urbanisation environnante : gravats, déchets industriels ou ménagers… Aujourd’hui, c’est un espace entretenu, où un paysage rural se dessine, sorte de petite campagne en plein cœur de la ville.
Cette métamorphose est le fruit du travail de l’association la Ferme du bonheur. Depuis 2008, Roger des Prés, artiste, metteur en scène de théâtre et fondateur de la Ferme du bonheur, a fait du « Champ de la Garde » – en référence aux bâtiments de la Garde Républicaine, situés à proximité – son nouveau terrain de jeu. Au programme : expérimentations scientifiques, paysagères, écologiques et sociales. La Ferme du bonheur, déjà à l’œuvre sur un espace à proximité de l’université de Nanterre, situé à deux pas de là, s’est donné pour mission de prendre soin de ce lieu. Ils ont nettoyé puis renaturé le site. Et, leurs efforts ont porté leurs fruits. Si, au départ, la friche ne comptait qu’une cinquantaine d’espèces végétales, la dernière recension a comptabilisé 269 espèces végétales et 138 animales. Le « Champ de la Garde » représente aujourd’hui 37 % de la biodiversité de la ville de Nanterre.
Plus qu’un espace rural, le « Champ de la Garde » est aussi un lieu de rencontres, de partages et de recherches scientifiques. Une « leçon sociale et politique permanente » comme dirait Roger des Prés. Tous les dimanches, des bénévoles s’y retrouvent pour les travaux dominicaux. Des instituts de recherche, notamment Agro Paris Tech et l’INRAE viennent y faire des recherches scientifiques sur la pollution et la renaturation des sols. Des enfants viennent découvrir la biodiversité. Tous les jours, des membres et des volontaires font vivre le lieu. En bref, la friche est devenue un lieu de partage, de formation et de rencontres, avec la nature au centre du projet. Tous les travaux ont été fait sans machine, dans une « joie de communauté des mains », selon l’expression de Roger des Prés, où chacun a pris soin de la nature. On y trouve désormais des terrassements en pierre sèche, un espace maraîcher, des ruches ou encore des arbres fruitiers.
L’occupation du « Champ de la Garde » par la Ferme du bonheur s’est faite malgré les obstacles administratifs. Toute la réflexion sur l’avenir du site constitue, justement, à trouver une solution dans la durée, en rentrant dans un cadre législatif où pourront se retrouver tous les acteurs. Persuadé qu’il faut, non seulement, préserver ce patrimoine vivant mais également l’ouvrir, le valoriser et le transmettre à tous, Patrick Bouchain, architecte et urbaniste, a accepté de mettre son expérience à profit du « Champ de la Garde ».
C’est par une lettre de mission du 8 novembre 2022 que la Préfecture des Hauts-de-Seine, le Conseil départemental des Hauts-de-Seine, la Mairie de Nanterre et Paris La Défense, ont mandaté Patrick Bouchain, à titre gracieux, pour participer à la réflexion de l’ultime phase d’aménagement des dernières friches avant la Seine.
Afin de mener à bien cette mission, qui doit s’achever en 2027, Patrick Bouchain a créé une association : Le Pré (pour Parc Rural Expérimental) qui a pour objet de promouvoir une gestion rurale des espaces publics œuvrant pour la transition écologique et sociale, dans l’intérêt public local, par le développement d’expérimentations scientifiques, architecturales, paysagères et culturelles ouvertes au public. Dôté d’un conseil d’administration très impliqué avec comme président Bernard Lartajet (ingénieur des ponts, des eaux et forêts et haut-fonctionnaire) et Dominique Lemaistre (ancienne directrice du mécénat de la Fondation de France) comme secrétaire, l’association est dirigée par Caroline Niémant (ancienne secrétaire générale de la Preuve par 7), Le 1er juillet dernier, la signature d’une Convention d’occupation temporaire a marqué la première étape de l’avenir du site.
Pour le Pré, l’objectif est clair : il faut « produire quelque chose de pérenne » sur le « Champ de la Garde ». C’est d’ailleurs là le principal défi, réussir à construire un projet avec toutes les parties prenantes concernées. En effet, le Pré pourrait constituer un cas d’école dans le domaine : pas moins d’une dizaine d’acteurs, publics et privés, sont impliqués, allant de la mairie de Nanterre à la Ferme du bonheur, en passant par Paris La Défense, le Conseil Départemental des Hauts-de-Seine, la Préfecture des Hauts-de-Seine, la SNCF, La DIRIF (Direction des Routes d’Ile-de-France) ou encore la Garde Républicaine. Un casse-tête administratif que le Pré compte bien résoudre en « mettant les acteurs dans la participation » pour « agir ». Pour cela, le Pré rencontre les parties prenantes, écoutant les attentes de chacun, tout en conservant « la liberté » et « l’autonomie » de la mission. A terme, tout le monde devra avoir trouvé sa place pour permettre une gestion collective du site dans la durée.
Si le site actuel est le fruit d’une initiative civile et bénévole, l’essai doit être transformé avec un ancrage dans l’intérêt général. Comme le précise l’association Le Pré « en œuvrant à la régularisation, à l’ouverture, au partage de ce lieu de vie et en accélérant la dynamique initiée par la Ferme du bonheur, il s’agit d’en assurer l’avenir dans l’intérêt public. »
Le Pré n’a que 3 ans pour réussir à construire un projet à long terme sur la friche. Un délai assez serré, vu la multiplicité des acteurs et la complexité des enjeux. Mais, pour le Pré, c’est aussi une occasion de « préparer l’avenir » en construisant un « projet dont la ville a besoin ». En parallèle du travail de médiation, Le Pré mène aussi un travail de levée de fonds, donnée essentielle pour réussir à sanctuariser cet espace vert sur le long terme.
Un espace rural préservé, accessible à tous les publics et connecté au reste du territoire, avec une programmation ouverte : telle est la vision du Pré pour le site. En effet, « le Pré a l’ambition de développer un programme d’expérimentations agricoles, écologiques, scientifiques, culturelles et pédagogiques d’intérêt général ». Il s’agit, à la fois, de valoriser le site en révélant « les qualités environnementales, agricoles, sociales et sociétales du projet », de réunir tous les acteurs pour construire collectivement l’avenir du site et de lancer une programmation tout en définissant « un plan de gestion agricole, écologique et paysager ».
Un projet prometteur que le Pré aimerait ensuite pouvoir dupliquer sur d’autres friches du territoire. En effet, l’association voudrait faire du « Champ de la Garde » un « projet exemplaire ayant vocation à faire jurisprudence et à inspirer d’autres porteurs sur le territoire national ».