Frédéric Gilli promeut la concertation dans les projets immobiliers pour répondre aux nouvelles attentes des habitants des villes (©D.R.)
Publié le 01 avr 2025
Temps de lecture : 5 min
Interviews
Frédéric Gilli promeut la concertation dans les projets immobiliers pour répondre aux nouvelles attentes des habitants des villes (©D.R.)
Publié le 01 avr 2025
Temps de lecture : 5 min
Économiste spécialiste des questions d’urbanisme, Frédéric Gilli vient de publier « La France en perspective. Imaginer 2050 » (Éditions Autrement). Pour Re-Création, il revient sur les grands enjeux de la ville de demain et le rôle des acteurs de l’immobilier.
Les informations clés
Frédéric Gilli : Aujourd’hui, les citoyens expriment une préoccupation de plus en plus marquée pour l’écologie et pour des espaces urbains plus inclusifs. Ce mouvement aux racines profondes ne date pas d’hier, mais il est réellement arrivé à maturité en 2019 à la faveur de trois évènements.
D’abord, le mouvement des gilets jaunes, qui exprime un mal-être sociétal autour de la dualité « fin du monde » et « fin du mois », c’est-à-dire la conciliation entre efforts liées aux enjeux climatiques d’un côté et difficultés financières des ménages de l’autre. La même année marque l’intensification des marches pour le climat, ce qui souligne l’inquiétude montante d’une génération sur ce sujet. Enfin, la canicule de l’été 2019 accélère la prise de conscience sur les effets du changement climatique.
Les confinements qui suivront vont favoriser l’émergence de nouvelles aspirations, avec la volonté d’un retour à la nature et d’une ville plus agréable et saine. Tout cela conduit à une double mutation des usages, favorisant l’écologie et une ville qui laisse de la place à ses habitants.
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Frédéric Gilli : Face au mal-être exprimé, il n’existe pas de réponse standardisée car les problématiques varient fortement d’un territoire à l’autre, avec parfois des attentes contradictoires. Par exemple, des villes moins denses et plus vertes, mais sans aller vers un étalement urbain qui augmente les distances entre les différents services et centres d’intérêts est en soi un problème insoluble. Il faut redéfinir la façon dont chacun se saisit de ces différentes contraintes et faire cela collectivement si l’on veut sortir par le haut de l’impasse actuelle. Cela ne peut passer que par un travail de nature plus politique : un travail sur le sens que l’on accorde au fait de vivre ensemble et un travail sur l’intérêt général, pour clarifier les intentions que chacun prête aux différents décideurs publics et privés qui font la ville !
Il y a un enjeu à redéfinir l’intérêt général auquel nous contribuons : si les acteurs de l’aménagement ont toujours eu conscience de penser la ville pour les habitants, je crois que les réponses pour construire la ville de demain seront à trouver dans l’écoute et la concertation. Quelles sont les aspirations des habitants ? Quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent ? Comment se projettent-ils ?
Il faut à la fois créer de nouveaux logements, de nouveaux espaces de vie et de travail, requalifier massivement le bâti existant… nos filières actuelles ne sont pas pensées pour cela. Ponctuellement, certains programmes répondent certes aux attentes exprimées (davantage de modularité, des espaces communs appropriables, de la luminosité…). Mais pour élaborer une réponse globale, il faut redéfinir la manière de vivre en ville. Seuls des échanges nourris permettront de cerner les meilleures options pour l’avenir.
Frédéric Gilli : En matière de concertation, l’erreur la plus fréquente consiste à aller voir les gens pour discuter de son projet et de centrer la réflexion sur ses caractéristiques, ses atouts et les questions qu’il pose. Mais c’est un point de vue très « ethnocentré » autour des porteurs du projet.
Pour les habitants le sujet n’est pas là. Leurs préoccupations portent plutôt sur le devenir de leur quartier, de leur territoire… voire leur propre devenir ! Il faut donc leur parler de ces sujets pour avoir une chance de les impliquer.
Par ailleurs, on ne peut pas se contenter d’envoyer une invitation doublée d’un flyer et d’un peu d’affichage public. Il faut mener un véritable travail de conviction, porte-à-porte, sur le terrain, pour convaincre tous les publics qu’ils ont quelque chose d’utile à dire, qui intéresse les décideurs.
C’est donc une question de posture dans la construction même des projets qui est en jeu. Tout promoteur ou aménageur devrait être en capacité de mener ce travail par lui-même sur la plupart de ses projets. Une manière aussi pour les employeurs de répondre ambitieusement à la crise de sens au travail et d’attirer les jeunes qui entrent dans le métier…
Frédéric Gilli : Deux grands défis sociétaux vont la structurer.
D’abord, l’explosion des familles monoparentales ou recomposées bouleverse le besoin de logements. Tous les signaux montrent que ce phénomène est appelé à se poursuivre. Concrètement, d’une semaine sur l’autre, le nombre d’enfants à la maison change : l’occupation du logement fait le grand écart avec la garde alternée. L’appartement est soit trop petit pour accueillir toute la tribu, soit largement inoccupé quand les enfants sont chez leur autre parent ! Dans ce contexte, les habitants aspirent à davantage de modularité. Mais comment concilier ce besoin d’adaptabilité avec le besoin d’intimité et d’espace personnel ?
L’autre défi concerne le vieillissement de la population. Les octogénaires et plus représenteront 20 % de la population en 2050 contre moins de 4 % dans les années 1960, avec d’importantes questions liées à la dépendance et la mobilité. De quoi questionner la conception de la ville. Par exemple, les rues pavées sont très esthétiques mais peu adaptées aux personnes qui rencontrent des difficultés à se déplacer. De la même manière, les îlots de fraîcheur sont essentiels, mais doivent se trouver à proximité immédiate des lieux de résidence des seniors. Sur ce point, faut-il multiplier les EPHAD, les résidences type béguinage, favoriser le maintien à domicile ou imaginer un nouveau modèle ? La colocation a rapidement émergé comme solution pour se loger au début de sa vie. Quelle formule inventer pour les plus âgés ?
Frédéric Gilli : J’ai tendance à dire que les réponses actuelles sont adaptées à une société du XXe siècle mais pas à celle du XXIe siècle. Les acteurs de la ville doivent sans attendre s’emparer de ces questions, en misant sur la concertation pour faire émerger des solutions nouvelles.
Par exemple, dans un souci de lien social, de nombreux habitants demandent le retour des gardiens. Mais cela représente un coût important pour les copropriétés. L’idée de conciergerie de quartier a donc surgi dans certaines réunions, avec un principe de partage du service entre plusieurs immeubles. Cela implique de repenser les connexions entre des bâtiments indépendants. Un vrai challenge !
La réflexion doit porter à la fois sur le logement, le bâtiment, l’îlot, le quartier et la ville en elle-même. Nous sommes dans un moment de refondation, avec de nouvelles articulations à créer et tout un pacte à reconstruire.