Publié le 01 juil 2024
Temps de lecture : 4 min
Interviews
Publié le 01 juil 2024
Temps de lecture : 4 min
Élue en juin 2021, Christine Leconte vient d’achever son mandat de présidente du Conseil national de l’Ordre des Architectes. L’occasion de faire le point avec la finaliste du Grand Prix de l’Urbanisme 2024 sur l’un de ses principaux combats : réconcilier l’architecture et la société…. Ou comment préparer la ville de demain. Interview.
Les informations clés
Christine Leconte : Depuis 40 ans, notre société a été construite sur le principe des zones monofonctionnelles : commerciales, industrielles, tertiaires, résidentielles… La ville a été standardisée et les caractéristiques architecturales ont été effacées, ce qui empêche l’appropriation et l’identification des singularités territoriales. Nous avons oublié que nous habitons quelque part. Lorsque j’ai été élue à la présidence du Conseil national de l’Ordre des Architectes en juin 2021, j’ai effectivement insisté sur la nécessité de réconcilier la façon d’habiter et la société. Pour ce faire, l’architecture est une solution puissante car c’est une discipline transversale qui traite une multitude d’enjeux simultanément pour faire émerger des bâtiments de qualité, permettre la mixité des usages et replacer l’homme au cœur de la fabrication de la ville.
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Christine Leconte : Pour commencer, il convient de prendre la mesure des enjeux écologiques et sociétaux. Cela passe par l’économie des ressources utilisées, la préservation voire la restauration de la biodiversité, la réintroduction de la nature dans le milieu urbain… Toutes ces considérations amènent à repenser notre modèle de développement en privilégiant le futur de la ville existante plutôt que la conception de la ville de demain, le recyclage urbain à l’étalement. Le temps de la ville facile est révolu, nous sommes entrés dans celui de la ville qui s’adapte en prenant en compte le déjà-là. Des bâtiments changent de destination à l’instar de d’un bâtiment de bureaux transformé en 254 logements sociaux par François Brugel Architectes Associés et H2O Architectes à Paris VIIe (équerre d’argent 2023), des friches sont réaménagées à l’image de toutes celles que l’on trouve dans le bassin minier et aujourd’hui labellisées Unesco, des zones sont repensées en fonction des ressources situés à proximité comme dans le cadre du projet Pirmil-les-Iles dans l’aire métropolitaine de Nantes… Cette approche interroge les acteurs de la ville car elle redonne un sens artisanal à nos métiers. L’architecture facilite cette transition en apportant des innovations de qualité.
Christine Leconte : Le premier levier consiste à considérer le lieu où nous habitons. Il n’y aura pas une solution nationale unique mais différentes solutions territorialisées en fonction des conditions climatiques, des matériaux à disposition… Cela implique de travailler sur les bassins de vie régionaux pour activer les compétences locales. Ensuite, ces solutions en circuit court s’insèreront dans un récit collectif sur l’aménagement du territoire, dans une France à +4 degrés, grâce à la planification : l’État devra accompagner les Français qui subiront la montée du niveau de la mer, les collectivités qui seront confrontées à des inondations récurrentes entre septembre et mai, les stations de ski qui devront repenser leurs modèles… L’architecture va retrouver un rôle central en faisant le pont entre les besoins sociaux et techniques, et en apportant des réponses adaptées à chaque environnement.
Christine Leconte : Elles sont multiples. Nous pouvons par exemple beaucoup apprendre des systèmes constructifs imaginés en Afrique et en Asie, notamment en matière de ventilation naturelle et de recours aux matériaux de proximité pour que les habitations restent fraiches même lors de vagues de chaleur. Idem pour les modes de vie. Dans les villes scandinaves, la résidentialisation est évitée pour permettre la mutualisation d’espace communs et partagés extérieurs. Ainsi, la densification est mieux acceptée parce que nous ne perdons pas en qualité d’usage. C’est le cas par exemple de la cité-jardin de Tapiola développée dans les années 1950 en Finlande, qui prend en compte l’impératif d’intégration de la nature.
Et même à l’intérieur de nos frontières, nous trouvons des sources d’inspiration : en Guyane, les habitants passent plus de temps en dehors de leurs logements compte tenu du climat. Ils ont donc moins besoin d’espaces intérieurs que les habitants de la France métropolitaine mais plus d’espaces extérieurs comme des loggias. Si aucune de ses solutions ne peut s’appliquer de manière uniforme partout en France, les architectes sont capables de sélectionner celles qui seront les plus efficaces en fonction des enjeux locaux. C’est ainsi qu’ils joueront à nouveau pleinement leur rôle dans notre société.