Emmanuelle Cosse : « Notre grand défi est de réussir à réhabiliter le patrimoine HLM tout en produisant suffisamment de nouveaux logements sociaux »

Logement social Emmanuelle Cosse

Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat (© Marwen Farhat / USH)

Temps de lecture : 5 min

5,6 millions d’unités, 11 millions de locataires, 1 Français sur 2 qui vit ou a vécu dans un logement social… Le monde HLM est un acteur de poids dans notre société. Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat, fait le point sur les défis économiques, sociaux et écologiques que le secteur relève actuellement. Interview.

    Les informations clés

  • Les bailleurs sociaux doivent intégrer le ZAN dans leur quotidien et être capables d’agir sans qu’il soit handicapant, selon Emmanuelle Cosse… à condition d’inventer de nouveaux modèles financiers avec les pouvoirs publics.
  • L’USH estime que 198 000 logements sociaux doivent être produits chaque année d’ici à 2040 pour répondre aux besoins actuels. Pour concilier quantité et qualité, ces logements devront être adaptés aux nouvelles réalités socio-démographiques (séparations, le vieillissement de la population, décohabitation des jeunes…)
  • La rénovation énergétique de leur parc et le développement du recyclage urbain induit par la sobriété foncière donnent l’occasion aux organismes HLM de créer un nouveau contrat social reposant sur le bien-logement de tous.

Quel regard portez-vous sur le dispositif du zéro artificialisation nette ?

Emmanuelle Cosse : C’est une bonne révolution. Fixer cette règle, c’est déjà admettre collectivement que nous avons consommé trop de foncier pour le bâti jusqu’alors, pas seulement pour les logements mais aussi pour les parkings, les centres commerciaux, les bureaux… Ensuite, nous devons réinventer notre modèle de développement territorial pour retravailler le bâti existant et aménager de manière intelligente les fonciers qui restent disponibles tout en préservant ceux naturels pour faire face au dérèglement climatique et pour répondre à nos besoins agricoles. Le terrain de jeu est donc vaste. Mais ces parcelles ont une histoire dont nous devons tenir compte, ce qui rend les projets plus complexes, plus longs et donc plus coûteux. Nous devons intégrer cette nouvelle approche dans notre quotidien et être capable d’agir sans qu’elle soit handicapante. À condition d’inventer de nouveaux modèles financiers avec les pouvoirs publics. 


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Il faudrait créer 198 000 nouveaux logements sociaux par an selon l’étude « Quels besoins en logements sociaux à l’horizon 2040 ? » dévoilée en septembre 2023 par l’USH. Comment faire tout en respectant la trajectoire du ZAN ?

Emmanuelle Cosse : Nous avons demandé au cabinet HTC de répondre à deux questions avec cette étude : estimer, à l’aune des problèmes actuels, les besoins réels en logements sur le territoire français puis, en analysant l’état de la demande observée dans les territoires à l’échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), comprendre ce que cela voulait dire, notamment en matière de logement social. Résultats : il est nécessaire de produire 518 000 logements par an d’ici à 2040, dont 38 % de logements sociaux. Je dis bien produire et non pas construire car les bâtis dans lesquels une majorité de ces logements sera créée existent déjà. La problématique, c’est de savoir comment faire muter ces constructions existantes. Le carcan législatif doit évoluer pour faciliter le changement d’usages des immeubles, notamment des activités économiques vers le logement.

« Nous sommes en difficulté pour relever le double défi social et environnemental, notamment en raison de l’intensité des investissements nécessaires »

Et comment concilier la quantité de nouveaux logements sociaux à produire avec la qualité ?

Emmanuelle Cosse : En créant des logements adaptés aux nouvelles réalités socio-démographiques. Avec les séparations, le vieillissement de la population et la décohabitation des jeunes, beaucoup de ménages ne compte plus qu’une personne. Conséquence : nous avons de plus en plus de demandes pour des T1 ou des T2 et nous devons faire évoluer nos offres pour y répondre. Les bailleurs sociaux notent également une forte demande en logement très social. Les nouveaux appartements doivent ainsi être modernes, conçus dans une logique bas-carbone, agréables à vivre, sobres en consommation énergétique et permettre de proposer des loyers n’excédant pas six euros du mètre carré. L’équation est complexe mais nous arrivons à en produire.

Lors du dernier congrès USH, le gouvernement a annoncé qu’il verserait 1,2 milliard d’euros sur 3 ans pour la rénovation énergétique des HLM. Quels sont les différents leviers que les bailleurs sociaux vont activer dans les années à venir pour améliorer la performance énergétique des logements existants ?

Emmanuelle Cosse : Tout l’enjeu est de réussir à réhabiliter notre patrimoine dans le respect du calendrier de la loi Climat et Résilience* tout en produisant suffisamment de nouveaux logements pour répondre à la demande. Nous sommes en difficulté pour relever ce double défi social et environnemental, notamment en raison de l’intensité des investissements nécessaires. Le déblocage d’1,2 Md€ sur trois ans par l’État pour soutenir environ 120 000 rénovations énergétiques par an dans le logement social et monter progressivement à 150 000 (ndlr : contre 93 000 en moyenne entre 2018 et 2022) est une étape qui va dans le bon sens mais il reste encore beaucoup à faire. Les bailleurs sociaux dépensent autour de 4 Mds€ par an afin de réhabiliter le parc HLM alors que nous estimons le besoin annuel pour faire passer en priorité les logements étiquetés G, F ou E en D, C, B voire A, à 8,6 Mds€. En outre, notre action ne se limitera pas à l’enveloppe des bâtiments : la décarbonation du parc nécessite également le recours à des énergies vertes. Le déblocage par la Caisse des Dépôts et l’ADEME de prêts bonifiés pour le raccordement des HLM aux réseaux de chaleur urbains et le développement des énergies renouvelables dans le parc social est là-aussi une première pierre.

Dans quelle mesure la transformation du parc existant va permettre la re-dynamisation du lien social ? 

Emmanuelle Cosse : La rénovation énergétique de notre parc et le développement du recyclage urbain induit par la sobriété foncière nous donnent l’occasion de créer un nouveau contrat social reposant sur le bien-logement de tous plutôt que sur la partition entre habitat individuel et habitat collectif. En luttant contre le mal-logement et la promiscuité, nous combattons également le retard scolaire, les problèmes de santé, les violences conjugales…

« Mieux isoler nos immeubles va de pair avec l’amélioration de l’accessibilité de notre parc et l’adaptation d’un maximum de logements pour les personnes âgées »

Comment les bailleurs sociaux prennent-ils en compte le vieillissement de la population dans cette politique de transformation ? 

Emmanuelle Cosse : Nous prenons en compte cette question depuis une dizaine d’années déjà. L’USH organise ainsi tous les deux ans depuis 2014 le concours « Hlm, partenaires des âgés » pour récompenser les organismes qui se sont distingués par des actions et des réalisations remarquables en faveur des personnes âgées, notamment dans le cadre de l’adaptation des logements au vieillissement. Mais il reste à mettre en place un grand Plan vieillissement pour accompagner les bailleurs sociaux dans l’adaptation de leur parc, d’autant qu’environ 30 % de nos locataires ont plus de 65 ans. Les grandes opérations de réhabilitation qui visent en premier lieu à limiter l’empreinte carbone du bâti sont également l’occasion d’adapter des logements comme le souligne l’étude de la Fondation Jean Jaurès « Vieillir en logement social : les défis de l’accessibilité et de l’adaptation » réalisée par Thomas Chevandier. Mieux isoler nos immeubles va donc de pair avec l’amélioration de l’accessibilité de notre parc et l’adaptation d’un maximum de logements pour les personnes âgées.

Comment voyez-vous la ville de 2040 et quelle place occupe le logement social dans cette vision ?

Emmanuelle Cosse : Les bailleurs sociaux n’induisent pas les comportements de leurs locataires, ils les accompagnent. Nous logeons la France telle qu’elle est, c’est-à-dire les travailleurs essentiels qui vivent avec le SMIC, les familles monoparentales… D’ici 2040, je veux que tous les demandeurs puissent accéder à un logement social de qualité, bas carbone, qui correspond à leurs besoins, et que nous soyons en mesure de leur proposer également un parcours menant à l’accession sociale à la propriété. Pour ce faire, plusieurs croyances doivent être vaincues. Contrairement à ce que veulent nous faire croire certains en s’appuyant uniquement sur des prévisions démographiques en baisse, nous aurons encore besoin de nouveaux logements d’ici 2040. Par ailleurs, la puissance publique doit revenir dans le logement. Ce dernier est le socle de toute vie familiale, professionnelle et sociale digne. Nous avons donc besoin d’un arbitre et d’un soutien, notamment pour réguler les prix du foncier. Enfin, la transition écologique et énergétique n’est pas qu’un calendrier à respecter. Les HLM sont fortement engagés dans cette démarche. Nous avons besoin de visibilité pour tenir un rythme de rénovation soutenu et donner une seconde vie à des sites obsolètes. 

* La loi Climat et Résilience prévoit que les logements classés G au DPE seront interdits à la location dès le 1er janvier 2025 ; les logements classés F au DPE seront interdits à la location dès le 1er janvier 2028 ; les logements classés E au DPE seront interdits à la location dès le 1er janvier 2034.