Publié le 18 jan 2024
Temps de lecture : 5 min
Tendances
Publié le 18 jan 2024
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Comment les différents pays européens luttent-ils contre l’artificialisation des sols et préservent-ils la biodiversité ? Le Sénat a récemment réalisé une analyse des stratégies nationales en matière de réduction de l’artificialisation des sols adoptées par quatre pays européens (Allemagne, Espagne, Italie et Pays-Bas). Tour d’horizon.
Les informations clés
Le pacte vert pour l’Europe, décidé le 14 juillet 2021, stipule qu’à l’horizon 2050 soit appliquée une neutralité carbone sur le plan climatique afin que l’Europe devienne le premier continent neutre pour le climat. Alors que l’UE se situe au 3e rang mondial des émissions de GES, elle a perdu, entre 2012 et 2018, plus de 400 km2 de terres en valeur nette annuellement. Afin d’offrir des services d’information basés sur l’observation de la Terre par satellite et les données in situ, le programme européen Copernicus collecte et établit des données très précises sur le ZAN. Données qu’utilisent ensuite les différents États membres. Sans toutefois légiférer sur leurs objectifs quantitatifs, l’Allemagne et l’Italie ont prévu une diminution de l’artificialisation voire d’atteindre le zéro artificialisation nette des sols. Moins de 30 hectares par jour d’ici à 2030, pour la première, et zéro artificialisation nette à la même date pour la seconde. En France, l’objectif est d’atteindre le « zéro artificialisation nette des sols » en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers dans les dix prochaines années (2021-2031) par rapport à la décennie précédente (2011-2021).
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Le gouvernement fédéral allemand a, depuis 2002, impulsé une vraie dynamique sur la question du ZAN, détaille le rapport sénatorial. Entre le programme environnemental intégré dit « PEI » de 2016 qui se fixait comme objectif la réduction de 20 hectares par jour d’ici 2020, et le Plan pour la Protection du Climat dit Klimaschutzplan 2050, ce sont des objectifs intermédiaires qui sont quantifiés, avec une obligation d’application à tous les états fédérés allemands. Le Klimaschutzplan 2050 prévoit que « toute intervention doit s’abstenir de porter une atteinte évitable à la nature et au paysage ». A l’échelle des Länder, alors que la ville-état de Berlin semblait la plus avancée sur ces sujets, le déficit de foncier disponible et les engagements de construction de logements semblent en ralentir les efforts. Le Bade-Wurtenberg, quant à lui, s’est fixé un objectif de ZAN à l’horizon 2035, en le rendant contraignant dans son nouveau plan d’aménagement local qui sera voté par un collège de 400 citoyens tirés au sort.
En Italie, on légifère sur l’artificialisation des sols depuis 2012. Vingt-et-une agences pour la protection de l’environnement existent sur le territoire national et les recherches et le suivi sont actifs au travers d’un système national pour la protection de l’environnement dit SNPA. Aussi, des documents comme le consumo di suolo et consumo di suolo netto, copertura artificiale del suolo ou encore l’impermeabilizzazione del suolo sont au fondement du rapport annuel sur l’artificialisation des sols de 2022. La « Botte » prévoit d’atteindre le ZAN dès 2030, même si le rapport du Sénat déplore que les législations régionales forment « un paysage hétérogène et globalement peu efficace en raison de dérogations et de délais de mise en œuvre importants ».
Dès les années 1960, les Pays-Bas ont mis en place des « zones tampons » entre les zones urbaines et les espaces naturels, ainsi qu’entre différentes villes. Il faut dire que, historiquement contraint par l’espace, le pays est d’ores-et-déjà très économe en espace. Un exemple notable de cette approche est le « Green Heart » situé dans la région du Randstad : Une politique gouvernementale a été adoptée en 2003 pour préserver le Green Heart. Elle autorise les grandes villes situées en bordure de cette zone à construire un nombre limité de logements. Le gouvernement restreint également l’implantation de serres et d’autres types de bâtiments commerciaux dans la zone. Pour autant, la NOVI (Nationale Omgevingsvisie, la Vision environnementale nationale), prolongement sur la Loi sur l’environnement, ne pose pas d’objectifs quantitatifs, le gouvernement estimant l’objectif de « zéro artificialisation nette » irréaliste. En revanche, avec ses 26 lois et nombreux décrets, il crée « un guichet numérique unique rassemblant en un seul endroit toutes les règles des municipalités, des provinces et des agences de l’eau, les plans d’aménagement et l’ensemble des règles relatives à un lieu ou à une zone ». Ce guichet numérique unique se veut un gage d’efficacité opérationnelle autant règlementaire qu’opérationnel.
En Espagne, comme beaucoup de pays industrialisés, cette tentation du bitume a sensiblement crû depuis les années 60. « Pour 2021, les données disponibles dans les statistiques du cadastre urbain indiquent qu’environ un million d’hectares du territoire national sont urbanisés, dont 65 % bâtis », nous apprend le rapport du Sénat. Deux phénomènes contradictoires sont à l’œuvre. D’une part, l’urbanisation débridée augmente la surface des villes, alors que d’autre part, la dispersion du bâti entraîne, notamment sur les côtes, des problèmes d’accès aux services publics et de mobilité. Deux lois encadrent cette protection des sols. Celle de 2007 et celle spécifique au littoral de 2013.
Pris très au sérieux depuis 15 ans, l’Espagne met en place l’objectif stratégique 1 de l’Agenda urbain espagnol pour 2030 qui consiste à « développer le territoire et faire un usage rationnel de la terre, la conserver et la protéger ». C’est à l’échelle locale que cela se passe, in fine. La ville basque de Vitoria-Gasteiz, lauréate de l’appel à projet européen « 100 villes intelligentes et climatiquement neutres d’ici à 2030 » prévoit une déclassification de zones à urbaniser ainsi qu’une reforestation de certaines zones afin de créer des puits de CO².
La Suisse, reconnue comme un modèle en matière de sobriété foncière, est souvent mise en avant pour ses politiques efficaces dans la gestion et la préservation des sols. Ces réglementations, qui couvrent les niveaux fédéral, cantonal et communal, visent à réguler l’utilisation des sols et à protéger les espaces naturels et agricoles. Cependant, l’unicité de l’organisation politique suisse, confédération de 26 cantons autonomes, rend la réplication de ses initiatives législatives complexe pour d’autres pays.
La Loi d’Aménagement du Territoire (LAT), instaurée en 1979, est un pilier de cette sobriété foncière. Elle s’articule autour de la Constitution fédérale, abordant des sujets tels que la propriété privée, le développement durable et la protection de l’environnement. La LAT souligne une utilisation mesurée du sol et une séparation claire entre zones constructibles et non constructibles. Elle s’inscrit dans une vision rationnelle de l’aménagement territorial, reflétant l’engagement de la Suisse à une gestion judicieuse et mesurée de ses sols. En 2014, la Suisse a franchi une étape supplémentaire dans sa démarche de sobriété foncière avec la réforme de la Loi LAT. Cette réforme a renforcé le concept de développement urbain durable, particulièrement à travers ses articles clés. L’article 1 de la réforme promeut un développement urbain orienté vers l’intérieur, visant à établir des environnements bâtis plus compacts. En complément, l’article 3 souligne l’importance de préserver de vastes étendues de terres agricoles de qualité.