Jean Guiony, fondateur de l’Institut de la transition foncière (©D.R.)
Publié le 11 jan 2024
Temps de lecture : 5 min
Interviews
Jean Guiony, fondateur de l’Institut de la transition foncière (©D.R.)
Publié le 11 jan 2024
Temps de lecture : 5 min
Lancé publiquement en mai dernier, l’Institut de la transition foncière regroupe les acteurs de la filière de gestion durable des sols dans le but de « replacer la préservation du foncier et des sols vivants au centre de la question urbaine et territoriale, tant dans les milieux liés à l’aménagement et à la construction que dans la société civile ». Jean Guiony, fondateur de cette association, nous explique comment.
Jean Guiony : La transition écologique désigne, au fond, un horizon : celui où nous respecterons les écosystèmes auxquels nous appartenons et les grandes ressources dont ils sont faits : l’air, l’eau, le vivant … et la terre. Or on parle peu des sols dans les débats sur le réchauffement climatique. Ils sont pourtant à peu près partout dans les défis qui, quotidiennement, affectent les territoires et leurs habitants : sécheresse, inondations, îlots de chaleur, fertilité ou infertilité des sols agricoles, pollution, précipitations… À la différence de l’énergie, qui a sa filière, sa politique nationale, ses débats structurés, ses outils et même ses normes, les sols en sont encore à un stade embryonnaire. C’est pour cette raison que nous avons créé l’Institut : constituer une filière, faire se parler l’agronomie et l’urbanisme, la biologie et l’assurance, l’hydrologie et le droit ; et promouvoir une action globale, intégrée et partenariale autour de la sauvegarde des sols, à l’instar de ce qui existe pour l’eau, ou l’énergie.
Jean Guiony : Les deux ne sont pas antinomiques. Mais la transition foncière est une démarche plus large qui désigne toutes les politiques, pratiques et démarches opérationnelles visant d’abord à changer d’approche sur les sols et à les préserver de toutes les formes de pression, et pas seulement de l’artificialisation : sécheresse (liée aux activités humaines et au réchauffement en général) qui a par exemple conduit des communes du Var en voie de désertification à cesser toute délivrance de permis de construire ; pollution ou dégradation chimique et biologique (y compris l’agriculture intensive qui a pour conséquence de priver les sols d’une bonne partie de leurs fonctionnalités) ; ou encore surfréquentation, sur des sites touristiques ou par des troupeaux d’ailleurs, le tassement des sols provoque son imperméabilisation.
Le ZAN est un objectif quantitatif d’une politique publique, d’abord européenne, ensuite française, dans la loi Climat et Résilience de 2021. Cet objectif agit sur les politiques, notamment locales, en les contraignant à se mettre à jour pour se conformer à cette sobriété foncière, par la planification notamment : Schémas régionaux, puis de cohérence territoriale, enfin, les plans locaux d’urbanisme (PLU).
L’introduction de cet objectif est l’un des actes forts de ces dernières années pour les sols.
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Jean Guiony : C’est en lien avec la question précédente : le ZAN ouvre des questions plus larges. Nous avons un besoin de penser un nouveau modèle économique pour financer la sobriété foncière. Il n’y a pas de réponse à date, sauf si on a la chance de réunir assez de subventions. L’Institut travaille donc à un nouveau modèle économique de l’aménagement urbain, qui intègre des nouvelles formes de valeurs. Et nous espérons qu’il pourra appuyer la mise en œuvre du ZAN dans les territoires en leur offrant une manière de le financer.
L’un des éléments qu’il faut sans doute éviter est une course aux sols : la sobriété foncière, mais aussi la sécheresse par exemple, rendent les sols urbanisables ou cultivables de plus en plus rares. Nous avons un intérêt collectif à éviter un phénomène d’accaparement des sols vivants, et d’inflation foncière également. Des initiatives intéressantes voient le jour comme à Rennes où la métropole a décidé d’utiliser la procédure de dissociation entre foncier et bâti pour tout le foncier public métropolitain. Élargir la dissociation foncier-bâti à l’ensemble d’un foncier public est une manière de reprendre le contrôle, sur son foncier d’abord, il y a donc un enjeu de maîtrise foncière. C’est également une façon d’influencer le marché, puisque sur une portion significative de ce marché foncier dans la zone, il y aura une pression à la baisse sur les prix. Enfin, cela a un impact social avec la préservation de poches du marché immobilier cette fois-ci, accessibles à des populations à revenus plus modestes. Cependant, il faut bien noter que la dissociation est un procédé qui s’intéresse au sol du seul point de vue de ce marché foncier, à titre économique et social donc. La dimension environnemental peut être présente dans le sens où la maîtrise publique du foncier serait vue comme une garantie de sobriété foncière, mais elle est globalement peu en jeu, on ne s’intéresse pas avec cet instrument aux sols vivants.
Avec l’Institut, nous plaidons également pour la création d’un Conservatoire national des sols, sur le modèle du Conservatoire du littoral, pour commencer à constituer une maîtrise foncière forte de sols stratégiques et n’ayant pas vocation à être exploités. Cela ne signifie pas qu’ils sont inaccessibles : le domaine public du Conservatoire du littoral le prouve.
Les résultats de la recherche sur les sols sont mal connus de tous, y compris ceux à qui elle pourrait être directement utile et changer leurs pratiques
Jean Guiony, fondateur de l’Institut de la transition foncière
Jean Guiony : Il y a en effet un double sujet sur les sols : de représentation, et de connaissance.
De représentation, car ils sont à 99% invisibles. Nous n’en voyons que la surface, et par conséquent, nous ne les voyons que comme une surface. Y compris pour les aménageurs : les sols, c’est une parcelle. Une vision qui ignore le volume, qui ignore les mouvements verticaux à l’intérieur des sols : de l’eau, de la roche, de la biodiversité. Sur ce sujet, l’art, la création et la pédagogie doivent faire alliance pour changer notre vision.
Il y a également un problème de connaissance, puisque notre ignorance commune est à peu près totale de la manière dont les sols se forment et du temps nécessaire, de l’importance des champignons, des bactéries et des microbes souterrains pour notre survie… Et cela malgré une recherche foisonnante sur le sujet depuis longtemps en France. Cette recherche est mal transférée et mal connue de tous, y compris ceux à qui elle pourrait être directement utile et changer leurs pratiques : les professionnels de l’urbanisme, des collectivités territoriales, du bâtiment, du commerce, etc. C’est pour répondre à ce besoin que nous constituons actuellement une Chaire de la Transition foncière, avec La Caisse des Dépôts et l’Université Gustave Eiffel, qui accueille des travaux de recherche, et prévoit une journée d’études pluridisciplinaire chaque année. Elle abordera la question de la restauration (« renaturation ») au premier semestre 2024.
Jean Guiony : En 2024, l’Institut poursuivra plusieurs chantiers opérationnels à côté de la Chaire : nous entrerons dans la phase de test, sur des cas locaux, de notre nouvel outil de bilan d’opération intégrant une valeur pour la préservation des sols. Nous conduirons également pour l’Office français de la Biodiversité une étude de faisabilité d’un « diagnostic de performance environnementale des sols », sorte de volet sol du « DPE » déjà existant sur la question énergétique. En effet, les parcelles privées constituent un trou noir dont l’état de santé des sols n’est pas suivi. Et le Forum de la Transition foncière, le rendez-vous de la filière, continuera d’explorer les controverses, de proposer des dialogues autour des sols, et des exemples de projets et pratiques inspirantes. Le prochain est le Forum 2024, prévu à l’automne, qui sera un Forum européen !
La biographie de Jean Guiony