Publié le 22 mar 2023
Temps de lecture : 5 min
Une friche, une histoire
Publié le 22 mar 2023
Temps de lecture : 5 min
Inaugurée en février 1973 par le maire de l’époque Gaston Defferre, la piscine de Luminy, à Marseille, située à deux pas des Calanques, est fermée depuis 2009. Les bassins restent aujourd’hui désespérément vides, et les plongeoirs rouillés, alors même que la ville manque cruellement de piscines. Alors, quel avenir pour ce site ?
Grandeur et décadence. La piscine de Luminy, à Marseille, inaugurée en grandes pompes en février 1973, est fermée depuis maintenant 14 ans. Fermée mais pas oubliée. Très régulièrement, le site revient dans l’actualité marseillaise. Et notamment à l’occasion des campagnes électorales. L’enjeu ? Décider du futur de ce site autrefois sublime, aux portes des Calanques, entre projets de réhabilitation et de démolition-reconstruction.
D’autant plus que Marseille est une ville qui manque cruellement de bassins de natation « 35% des enfants ne savent pas nager à leur entrée en 6e. Nous sommes dans une ville où il n’y a que 14 bassins alors qu’il devrait y en avoir 30 », précise Sébastien Jibrayel, adjoint au maire de Marseille chargé des sport.
En poste depuis 2020, ce dernier a repris le dossier de la piscine de Luminy. « Nous voulons permettre sa réouverture », clame-t-il. Las, devant le montant estimé des travaux – entre 20 millions d’euros et 30 millions d’euros – la mairie, seule, ne peut pas grand-chose. Elle a cependant lancé des études de faisabilité technique, première étape avant de chercher des aides financières auprès des collectivités et de l’Etat, relate un article de France Bleu. « Nous essayons de trouver des partenariats, qu’ils soient publics ou privés, pour rouvrir (la piscine de Luminy). L’idée n’est pas enterrée, il y a des projets, nous avons des perspectives et nous sommes plutôt optimistes », indiquait encore Sébastien Jibrayel en novembre dernier.
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Peut-être qu’un jour la piscine de Luminy retrouvera sa vocation initiale. En attendant, elle est devenue une friche abandonnée faisant le bonheur des graffeurs et des amoureux de l’urbex (urban exploration), une pratique consistant à visiter des lieux abandonnés. Autre point moins glorieux, la piscine de Luminy sert aussi de décharge à ciel ouvert : chaises, pneus, vieilles ferrailles et autres appareils électroménagers y sont jetés là, participant à la dégradation du site…
Francesco P., étudiant de 23 ans en Villes et territoires durables, parcours visant à former les futurs professionnels au développement territorial, a eu l’occasion de se rendre sur place à l’automne 2022, avec un ami. « Ce n’est pas très difficile d’accès, raconte-t-il. On m’avait dit que, pour un passionné de photos comme moi, c’était à voir. Et, effectivement, découvrir cette piscine abandonnée, avec ses bassins à nu, ses murs fracassés, tagués, mais aussi ses bancs de vestiaire encore visibles, cela a quelque chose de fascinant. C’est comme un décor de fin de monde, avec la nature qui reprend ses droits, et on ne peut s’empêcher, en visitant les lieux, d’imaginer ce qu’ils ont pu être, avant. »
(©Francesco P.)
Le jeune homme a publié quelques-uns de ses clichés sur sa page Instagram, ciscu.photo. Et ils sont nombreux, comme lui, à faire de même. Le hashtag #piscineluminy distille quelques pépites, de la photo posée à la mise en lumière d’œuvres d’artistes de rue. D’autres, en revanche, se désespèrent de voir le site laissé ainsi à l’abandon. C’est le cas de Ludo, l’administrateur de la page Facebook « Oui à la réouverture de la piscine Luminy ». « J’ai créé cette page, il y a un peu plus de cinq ans, d’abord pour pousser un coup de gueule personnel, explique-t-il. Je suis natif du quartier, Luminy est à cinq minutes à pied de chez moi. Je me suis souvent rendu sur place pour, à chaque fois, y constater la catastrophe. Tout est aujourd’hui dans un état pitoyable, dégradé et menaçant, par endroits, de s’effondrer. C’est devenu dangereux. C’est, surtout, un terrible gâchis car le site était extraordinaire du temps de sa splendeur, un petit paradis où je venais nager. » Cette nostalgie, ils sont, comme Ludo, au moins 3 800 à la partager sur cette page Facebook. « Je n’imaginais pas une seule seconde un tel engouement », résume Ludo. C’est bien le signe que cette piscine de Luminy est, dans les esprits marseillais, bien autre chose qu’un banal site laissé à l’abandon.
Luminy c’est, pour Marseille, le souvenir d’une sorte d’âge d’or. Flashback. Nous sommes en février 1973 et Gaston Defferre, tout puissant maire de la cité phocéenne, vient, lui-même, inaugurer le complexe nautique. « Il y a ceux qui promettent des piscines et il y a ceux qui les construisent », assène-t-il dans un discours très politique. C’est que l’édile en veut à l’État qui, à ses yeux, n’a pas suffisamment mis la main à la pâte dans ce projet. Pour un budget de 6,41 millions de francs de l’époque, l’État n’a contribué qu’à hauteur de 2 millions de francs.
Alors, dans ces conditions, Luminy est sa grande affaire. Et il peut être fier, Gaston Defferre. Le complexe nautique, adossé à la forêt, à deux pas des Calanques, en impose avec ses trois bassins majestueux : une piscine couverte de 25 mètres par 15 mètres, un bassin extérieur « olympique » avec ses 50 mètres par 21 mètres et, enfin, un bassin de plongeon de 16 mètres par 16 mètres, profond de 7 mètres, avec ses tremplins. C’est bien simple : « après homologation, la complexe de Luminy pourra servir aux compétitions nationales et internationales », promet-on alors.
Pendant trente-six ans, la piscine de Luminy joue son rôle, accueillant les Marseillais dans un cadre enchanteur. Mais, en mars 2009, le site ferme subitement ses portes. Dans un premier temps, la mairie de Marseille annonce quatre années de travaux et évoque une réouverture avant la fin 2013. Il s’agit alors d’enclencher une « réhabilitation totale » pour « améliorer la sécurité, le confort et l’accueil des usagers. »
Seulement, les années passent et Luminy reste désespérément vide. En 2015, un rapport, financé par la mairie, préconise la transformation du site pour en faire un « pôle d’excellence sportif ». Un an plus tard, en 2016, le projet de création d’une piscine à Euroméditerranée, couplé à la rénovation de celle de Luminy, est voté par la mairie. L’espoir renaît mais le dossier s’avère complexe. Une partie du site prévu à Euroméditerranée se trouve en zone inondable. Le dossier s’enlise, emportant avec lui l’éventuelle rénovation de Luminy. C’est que les deux projets étaient étroitement liés : annoncé plus rentable, avec notamment la possibilité de compléter la piscine par un programme immobilier, Euroméditerranée devait permettre de compenser le déficit du projet de Luminy, résume Marsactu.
En 2018, Luminy revient dans l’actualité avec plusieurs appels d’offres lancés par la mairie pour relancer les travaux de réhabilitation. Sans résultat. En 2020, les élections municipales sont l’occasion de remettre une fois de plus le sujet sur la table. « Réhabiliter la piscine de Luminy » fait même partie des promesses de Lionel Royer-Perreaut, maire des 9e et 10e arrondissements de Marseille, et candidat à sa réélection. Une annonce qui, aussitôt, suscite « plus de 500 réactions et commentaires, de même qu’une centaine de partages sur Facebook », note alors le magazine Marsactu. Aujourd’hui, Sébastien Jibrayel semble vouloir à son tour relever le défi. Avec plus de succès, demain ?