De la ville usine à la ville parc : métamorphose des « Terrains Renault » à Boulogne-Billancourt

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L'ancienne usine Renault à Boulogne-Billancourt s'est transformée en "ville parc". ©A. Alleaume - Val de Seine Aménagement

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Après un siècle d’emprise industrielle à Boulogne-Billancourt, le quartier du « Trapèze » est devenu Rives de Seine. Un ÉcoQuartier exemplaire du rôle du recyclage urbain dans l’invention de la ville.

L’histoire commence par une incroyable expansion. Pendant un siècle, les propriétés bourgeoises et les terres agricoles environnant le petit atelier de Louis Renault à Billancourt vont peu à peu être absorbées par le développement industriel et géographique, de l’entreprise. Les 300 m2 de 1899 passent à 13,5 ha en 1914 pour atteindre plus de 70 ha à l’apogée de la Régie Renault nationalisée après-guerre. Le tout essentiellement situé sur la commune de Boulogne-Billancourt. Au milieu de la Seine, l’Île Seguin s’affiche depuis 1929 comme « l’usine des temps modernes », en face du Trapèze, ainsi nommé en raison de sa forme géométrique.


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« À partir de 1825, l’entrepreneur de Gourcuff lotissait une partie des terres cultivées pour en faire le village de Billancourt, avec sa place principale, aujourd’hui la place Jules-Guesde, rappelle Claude Colas, chef du service des Archives municipales de Boulogne-Billancourt. Renault s’est ensuite appuyé sur la voirie existante pour créer les contours et les voies d’accès intérieures de son complexe industriel. » Si les bombardements alliés de 1942 et 1943 sur l’usine, alors au service des occupants – et leurs dommages collatéraux – avaient interrogé sur la pertinence des activités industrielles essentielles dans un tissu urbain très dense, il devient évident dès les années quatre-vingt que le site de Billancourt n’est plus adapté aux nouveaux process de fabrication. Après la sortie du dernier modèle Renault Super 5 Société le 27 mars 1992, l’usine ferme définitivement ses grilles.

Les usines Renault de Boulogne-Billancourt, terreau de la ville de demain

Les projets sur le devenir des terrains ont commencé dès l’hiver 1992, par une curieuse exposition consacrée à La Cité Bleue, un aménagement utopique d’une Venise-sur-Seine. Cependant, la réalité économique et urbaine attendra encore une dizaine d’années pour que se mette en place un futur en commun entre public et privé : d’un côté DBS (Développement Boulogne Seguin) un groupement de promoteurs constitué, selon les appellations d’aujourd’hui, de Hines, Nexity, VINCI Immobilier et Icade, à qui Renault avait vendu les droits à construire sur les terrains du Trapèze ; de l’autre, la Ville et son organisme opérationnel d’aménagement, la SAEM (société anonyme d’économie mixte) – devenue en 2015 SPL (société publique locale) – Val de Seine Aménagement. Il faut se souvenir qu’à l’aube du XXIe siècle cette friche industrielle était plus qu’une promesse d’opération immobilière. Avec près de 74 hectares, soit 10 % du territoire de Boulogne-Billancourt, dont environ 37 hectares uniquement pour le Trapèze, la ZAC Île Seguin–Rives de Seine représentait une véritable « fabrique urbaine ».


Le quartier Rives de Seine (ex-Trapèze) en chiffres :

  • 37 ha de superficie totale. 17 ha d’espaces publics, dont 7 ha de parc.
  • À l’échelle des îlots : 50 % des espaces libres sont en pleine terre.
  • 671 558 m² de SHON (surface hors d’œuvre nette), dont 364 680 m2 de logements (2/3 libres, 1/3 sociaux), 230 068 m2 de bureaux, 76 810 m2 d’équipements publics, activités et commerce.
  • 10 000 actifs, 12 000 habitants, 3 groupes scolaires thématiques (bilingue, sciences et biodiversité, numérique), 1 lycée, 4 crèches publiques, 1 médiathèque…

Penser la ville à l’échelle du quartier

Chez VINCI Immobilier, Patrick Supiot est directeur général de l’immobilier d’entreprise : « L’aménagement des terrains Renault a correspondu à un moment de bascule important dans le métier de promoteur : c’était la période où nous nous sommes intéressés à des îlots plus qu’à des immeubles isolés. La notion d’îlot, ou de macro-lot, c’est la réunion d’un ensemble de bâtiments de destinations différentes, à l’intérieur duquel on retrouve des espaces partagés. Cela nous a obligé à réfléchir à une échelle programmative différente et en intégrant de nouvelles expertises, puisqu’il fallait travailler sur une composition urbaine, sur l’organisation des bâtiments les uns par rapport aux autres, sur la cohérence des usages communs au-delà de l’architecture des bâtiments proprement dite. »

La ZAC Seguin – Rives de Seine sur les anciens terrains Renault / Le nouveau quartier Trapèze

« Sur le Trapèze, l’objectif était de créer tous les ingrédients nécessaires au développement d’un quartier, presque à l’échelle d’une ville : logements libres et logements aidés, bureaux, commerces, espaces et équipements publics, poursuit Valentina Rubino, chargée d’action culturelle à la SPL Val-de-Seine Aménagement. Les macro-lots sont indépendants les uns des autres, et chacun complètement différent de son voisin. » Intérêt majeur de ce type d’aménagement : la mixité urbaine. « Une mixité intelligente, souligne Patrick Supiot, c’est-à-dire qui ne consiste pas à superposer les usages les uns au-dessus des autres, ce qui aurait créé des contraintes et des coûts peu acceptables. Mais une mixité horizontale, de fonctions différentes les unes à côté des autres, où vous passez d’un bâtiment en accession libre à un bâtiment en accession sociale, d’un bâtiment de bureaux à un équipement public. Tout se suit sur le territoire. Cela crée un quartier réellement mixte, où il y a encore de la vie après 19 h. »

Redonner sa place à la nature

Ce sont également les ambitions environnementales au-delà des exigences réglementaires de la puissance publique qui rendent ce quartier exemplaire. On ne pouvait pas rêver plus belle vitrine en matière de recyclage urbain ! Billancourt, la ville usine, est devenue Rives de Seine, une ville parc, sous l’impulsion de l’aménageur Val-de-Seine, alors dirigé par l’architecte urbaniste Jean-Louis Subileau. Lauréat de la consultation en association avec le paysagiste Thierry Laverne, l’architecte urbaniste Patrick Chavannes est désigné concepteur du plan directeur et coordinateur de l’aménagement du Trapèze. La nature y est centrale et non plus optionnelle, elle rééquilibre la densité perçue, elle infiltre, grâce à un système de traverses vertes, les grands îlots ; leur dimension ouvre des perspectives visuelles, permet de mutualiser les espaces et de réduire le nombre de voies de circulation automobile. « Le Trapèze accueille environ 10 000 actifs et 12 000 habitants aujourd’hui, et à terme 12 000 et 15 000, fait remarquer Valentina Rubino. C’est un quartier très dense et cependant très paisible. Au début, il n’y avait plus rien, Renault s’étant chargé de la démolition des usines. Il a fallu imaginer les voies principales délimitant les macro-lots, les connecter avec le reste de la ville, inventer ensuite une trame de circulation piétonnière au sein de chaque îlot. » Pour une fois, topographiquement et symboliquement, la ville s’est réinventée sur le vide.

L’ancien trapèze industriel a été l’un des premiers quartiers à recevoir, en 2013, le label ÉcoQuartier décerné par l’État. Tout y contribue : les circulations douces, la performance énergétique des bâtiments, les innovations dans le domaine du réseau de chaud et de froid (géothermie, incinération des déchets ménagers, stockage de glace refroidie par la Seine, etc.), la récupération et la gestion des eaux pluviales grâce au parc de Billancourt. Ainsi, les sept hectares imaginés comme un morceau de nature au service de la ville se font sans renoncer à la biodiversité, il est l’un des deux axes majeurs du quartier. L’autre étant l’extrême attention portée à l’architecture. « Tous les promoteurs, confirme Patrick Supiot, ont eu à cœur d’adhérer à l’intention première de faire du quartier un démonstrateur de la qualité et de la diversité architecturale. » Logements, bureaux, équipements publics, la ZAC Île Seguin–Rives de Seine renoue en matière d’architecture avec l’histoire de Boulogne-Billancourt. « On a souvent l’habitude de dire que Boulogne a été un laboratoire d’architecture dans les années trente, rappelle Claude Colas, on parle de la “ville des temps modernes” avec Le Corbusier, Mallet-Stevens, Perret… C’est de nouveau le cas grâce à ce quartier, qui compte de très belles signatures architecturales, Norman Foster, Dominique Perrault, Josep Lluis Mateo, Jean Nouvel, Sauerbruch & Hutton parmi lesquelles de nombreux architectes français. »

Les dates clés du projet de requalification :

  • 1992
    Renault abandonne la production industrielle sur le site de Boulogne-Billancourt.
  • 1997
    Début des consultations d’urbanisme.
  • 2003-2004
    Créations de la ZAC (zone d’aménagement concerté) Île Seguin–Rives de Seine, incluant le quartier limitrophe du pont de Sèvres, et de la SAEM (société anonyme d’économie mixte) Val de Seine Aménagement ; adoption du plan de référence.
  • 2008
    Le premier immeuble du Trapèze est livré.
  • 2013
    Achèvement du parc de Billancourt. Le label ÉcoQuartier est décerné par le ministère du Logement et de l’Égalité des territoires.
  • 2015
    La SAEM est transformée en SPL (société publique locale).